Lettre de Toyo Takahashi au ministère du Secrétariat d'État

Défilez vers le bas pour la transcription traduite
Image
Image Description
Un microfilm noir et blanc scanné d'une copie dactylographiée d'une lettre adressée au ministère du Secrétariat d'État de Toyo Takahashi concernant la dépossession de sa propriété. L'annotation dactylographiée indique "Copie pour M. Shears". Page 1 sur 2.
Additional Image
Additional Image Description
Un microfilm noir et blanc scanné d'une copie dactylographiée d'une lettre adressée au ministère du Secrétariat d'État de Toyo Takahashi concernant la dépossession de sa propriété. L'annotation dactylographiée indique "Copie pour M. Shears". Page 2 sur 2.
Sender's Address
​234, rue Cottingham,
Toronto 5, Ontario
Recipient Address
Ministère du Secrétariat d'État,
Ottawa, Canada
Body

Monsieur,

Le directeur du Bureau du séquestre à Vancouver nous a avisés de votre politique de liquidation des biens japonais. En raison de cette politique, ma propriété a maintenant été cataloguée pour la vente. Cette liquidation va à l'encontre de votre promesse et de mes désirs, elle est en outre totalement injustifiée.

Rappelez-vous qu'avant que notre oppression devienne politiquement à la mode, encouragée par votre politique d'évacuation et votre approbation apparemment tacite de toute la propagande antidémocratique dirigée contre nous, qui ne sommes pas vos ennemis, la minorité japonaise avait la meilleure réputation de moralité et d'esprit civique de toutes les minorités en Colombie-Britannique. Selon l'Institut canadien de l'opinion publique, cette réputation est toujours intacte malgré tous les abus répétés.

La contribution que mon mari et moi avons faite à cette réputation est plus qu'ordinaire. Ma propriété au 42 Gorge Road, Victoria, C.-B., est une preuve tangible de cette contribution. Mon mari a beaucoup investi dans notre maison et notre jardin. Pendant une période de dix ans, nous avons réussi à rassembler une grande quantité de plantes, d’arbustes et d’arbres précieux et rares. Parmi ceux-ci, les plus exotiques sont deux gardénias desquels mon mari a obtenu avec succès beaucoup de fleurs. Ce sont probablement les seuls gardénias non commerciaux de Victoria. Une fois, le surintendant des parcs de Victoria a approché mon mari et a obtenu des greffes de bourgeons d'une variété rare de fleur de cerisier. Nous sommes tous les deux fiers de notre collection, non seulement pour sa valeur, mais aussi pour sa belle réponse à nos soins et pour la profonde satisfaction qu'elle nous a procurée.

Notre collection unique était bien connue et a été largement appréciée par d'autres amateurs. Un témoignage de cette appréciation est montré dans la façon dont les gens nous arrêtaient pour nous complimenter lorsqu’ils se promenaient, beaucoup ont demandé la permission de marcher dans notre jardin, les automobilistes locaux et les touristes ralentissaient ou même arrêtaient, et les conducteurs des autobus touristiques montraient notre maison et notre jardin lorsqu’ils passaient devant chez nous. Lorsque l'évacuation est devenue une dure réalité, mon mari a reçu de nombreuses offres de pépinières pour acheter notre collection, mais il a refusé. N'aviez-vous pas promis de garder intactes toutes les propriétés jusqu'à notre retour? Le jardin n'est-il pas un atout tant pour Victoria que pour nous? Quant à la preuve, lors d'un sondage mené par la Victoria Horticultural Society pour choisir « Les jardins qui embellissent nos rues », M. Takahashi a reçu le Prix du mérite, daté du 16 août 1935. Deux ans plus tard lors de la visite royale, le roi et la reine sont passés devant notre maison. Nous chérissons le souvenir de voir Sa Majesté tourner la tête pour voir notre jardin.

Notre maison et notre jardin ont non seulement contribué à faire de Victoria la « ville-jardin du Canada », mais ils ont aussi aidé les malades et les handicapés. Le jour du Souvenir 1937, nous avons ouvert notre maison au public. En vendant des chrysanthèmes que nous avions cultivés, nous avons recueilli des fonds pour l'hôpital Saint-Joseph. En 1938, 1939, 1940 et 1941, nous avons fait de même, avec l'aide volontaire et compétente de l'Auxiliaire junior du Solarium Reine Alexandra pour les enfants infirmes. En novembre 1941, 233,00 $ ont été amassés. Jusqu'au moment de votre préavis de vingt-quatre heures pour quitter tous ces liens, mon mari était occupé dans le dur travail de préparation des pots et des boutures pour un autre concours de chrysanthèmes. L'objectif de mon mari était d'amasser pour le solarium une somme totale au-dessus de la barre des 1,000 $ cet automne.

En tant que citoyens de Victoria, nous avons participé à des activités civiques telles que les célébrations du 24 mai et les concours d'éclairage de Noël. Ces activités s'inscrivaient dans le cadre de la vaste et constante campagne de Victoria visant à attirer les touristes. En outre, mon mari a également travaillé comme vendeur volontaire d'obligations de la Victoire auprès de la communauté japonaise au cours des premier et deuxième prêts. Nous n'avons pas non plus été une dépense pour vous pendant l'évacuation. Notre famille a payé ses propres tarifs vers l'est et a été la première famille à s'installer à Toronto.

Aujourd'hui, mon mari n'est pas le gérant de sa propre entreprise incorporée, donc nous dépendons du revenu de nos propriétés. Une liquidation imméritée de ma propriété au 42, chemin Gorge, Victoria, C.-B., mettra en danger non seulement notre statut actuel, mais bien pire, notre bien-être futur. Cette propriété est notre domicile, la récompense de longues années de travail et d'anticipation, une source de loisirs, un enjeu pour l'avenir de Victoria, et une assurance pour notre bien-être ultérieur. Mon mari est maintenant trop âgé pour gagner sa vie, sa santé commence à décliner et il a hâte de prendre sa retraite l'année prochaine.

Après tous nos efforts de civisme, nous ne méritons pas que notre retraite soit compromise par la vente de nos propriétés.

Veuillez agréer mes salutations distinguées.

« TOYO TAKAHASHI »

TT/ST